Tribune de Genève : Ensemble, ils revisitent l’approche du deuil

Article de Léa Frischknecht, pour la Tribune de Genève

Il y a un an, Géraldine Juge et Dylon Villano lançaient leur entreprise de pompes funèbres à Carouge. Ensemble, ils tentent d’allier tradition et modernité.

«Quand je serai grand, je serai pompier, chanteur, docteur ou astronaute», imaginent les enfants. Rarement trouve-t-on, dans la liste de ces professions emplies de rêves et d’imaginaire, des ambitions de croque-mort. C’est pourtant la vocation qu’a choisie Géraldine Juge, quatre ans après avoir terminé l’École hôtelière de Lausanne.

Elle aurait pu, comme beaucoup de ses anciens camarades, ouvrir un bar ou rester dans l’hôtellerie. Son chemin s’est bien orienté vers le service à la personne, mais dans les moments les plus douloureux de la vie.

Avec son collègue Dylon Villano, ils lançaient, il y a un an, à l’occasion de la Toussaint, leur entreprise de pompes funèbres, Other Ways. À Carouge, le duo reçoit les familles endeuillées pour les aider à préparer au mieux leur dernier hommage.

Respect du deuil

Ni Géraldine ni Dylon n’étaient novices dans le domaine. En 2016, après le décès d’un proche, Géraldine lançait Separate Ways, une entreprise spécialisée dans l’organisation de célébrations funéraires et de gestion administrative.

«En traversant cette épreuve, il m’a manqué quelqu’un pour être guidée et épaulée dans toutes les démarches qui doivent être effectuées dans un temps restreint, raconte la jeune femme. Et ce, dans un moment où l’on préférerait pouvoir déléguer et passer du temps avec les siens.»

La même année, Dylon commence à travailler dans une entreprise de pompes funèbres. Tout comme son père, qui œuvrait également dans ce milieu. «Il m’a transmis les valeurs de respect du deuil», explique-t-il. Quand il croise la route de Géraldine, celle-ci envisage de proposer un service complet, de l’organisation des cérémonies à la prise en charge des défunts. Il a les connaissances pratiques, elle a l’expérience de l’entrepreneuriat. Le duo se lance.

Comme à la maison

Son local de la rue Ancienne se veut chaleureux: un canapé moelleux, des bougies, une bibliothèque remplie de livres sur le deuil. De quoi rompre avec l’idée austère que l’on se fait des lieux dédiés à la mort. «Nous voulions une approche informelle, que les gens se sentent chez eux pour choisir un cercueil, un célébrant ou des fleurs, explique Géraldine. Mais nous nous déplaçons aussi à domicile si besoin.»

Pour le reste, les patrons d’Other Ways ont accès aux infrastructures publiques pour présenter les défunts aux familles et se rendent au Centre funéraire de Saint-Georges pour les crémations. «Sur le long terme, il est prévu d’avoir nos propres chambres funéraires», confie Géraldine. Les deux entrepreneurs ambitionnent aussi d’agrandir leur équipe, aujourd’hui composée de personnel sur appel.

La mort sur Instagram

Mais se lancer sur le marché de la mort dans un canton qui compte déjà quelques entreprises centenaires bien implantées peut s’avérer compliqué. «Petit à petit, nous nous faisons aussi notre place, sourit Géraldine. Nous avons déjà accompagné de nombreuses familles. Other Ways se fait surtout connaître grâce au bouche-à-oreille ou à internet.»

Other Ways propose différente prestation tels que le choix des urnes.
LAURENT GUIRAUD

Comme beaucoup de jeunes entrepreneurs, Géraldine est active sur les réseaux sociaux. La mort, un concept «instagrammable»? «Quand j’ai lancé Separate Ways, je n’avais qu’une page Facebook, raconte Géraldine. Mais avec le temps, j’ai constaté que pas mal de pages Instagram évoquaient le deuil. Cela permet notamment de dédramatiser si on choisit bien ses mots et qu’on y poste du contenu adéquat.»

Nouvelles tendances

Avec leurs plus de 200 «followers», Géraldine et Dylon partagent des témoignages de leurs clients ou des réflexions sur certaines innovations, telles que l’humusation, soit le fait de composter les corps, technique encore illégale en Suisse.

La durabilité et l’écologie sont d’ailleurs au cœur des valeurs d’Other Ways, qui reverse 50 francs à une association de compensation de CO2 pour chaque cérémonie organisée. L’entreprise devrait également recevoir très prochainement un véhicule de fonction électrique.

Acceptent-ils de réaliser certaines tendances que l’on voit apparaître sur les réseaux sociaux, à l’image d’urnes biodégradables ou de QR codes sur les tombes, permettant d’accéder à des photos du défunt? «Tant que les volontés restent légales et possibles, nous acceptons les souhaits des familles ou du défunt, en cas de contrat de prévoyance funéraire, détaille Géraldine. Mais globalement, les demandes restent très classiques.»

Quand on leur parle de «business de la mort», Dylon et Géraldine préfèrent évoquer un «service de première nécessité». «Les gens organisent des funérailles environ deux ou trois fois dans une vie. Il nous faut nous rappeler que ces événements douloureux, qui sont notre quotidien, sont quasi uniques pour eux, explique Dylon. D’où l’importance de rester humain et de travailler avec le cœur. C’est notre leitmotiv.»

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